Dieu a ordonné à Noé d’accueillir sur son arche 7 mâles et 7 femelles de tous les animaux de la terre (en fait il y a aussi des distinctions d’animaux purs et impurs et donc des divisions savantes pour arriver quand même à un multiple de 7, Dieu aime bien l’arithmétique). Et voilà Noé, à l’entrée de l’Arche. Il compte sur ses doigts : un éléphant, une éléphante, un hippopotame, une hippopotame… Et puis arrivent les singes, forcement plus rapides, criards et Noé n’a plus assez de doigt. Et puis les mouchent bourdonnantes et Noé ne les voient pas toutes, Noé est myope. Dieu lui a pourtant fait dix doigts et deux yeux (bien fragiles, ces yeux). Décidément les desseins de Dieu sont obscurs. Ce n’est plus une arche qu’il a commandé, c’est un bateau-mouche.
Demarche
Notre travail s’inscrit au croisement de la marionnette et du documentaire. L’humain et son mode de vie sont l'objet de notre curiosité. Mais bien qu’empreint de sociologie et d’anthropologie, notre regard vise avant tout à proposer une forme poétique à ce que les gens veulent bien partager avec nous. Si nous sommes curieux du réel (comme on dit cinéma du réel) nous sommes plus curieux des réalités que peuvent ou veulent formuler les gens rencontrés que d’une réalité sociale.
A chaque nouveau spectacle ou cycle de spectacles nous choisissons une thématique, une question (l’adolescence et les réseaux sociaux, la famille, l’habitat…).
D'abord et parfois en même temps, nous nous immergeons dans un territoire, nous nous imprégnons des lieux et rencontrons des habitant·e·s, avec lesquel·le·s nous échangeons nos questions. De conversations en recherches documentaires, nous tirons un fil de pensée, une dramaturgie, une forme spectaculaire.
Nous sommes particulièrement attentifs à ce que ces formes proposent à chaque spectateur·rice, l'expérience d'un point de vue, à ce que l'écriture laisse à chacun·e et le loisir de glisser en regard sa propre histoire de la question. Les intimités, les singularités, se répondent ou s'ignorent, tentent de construire des communs.
Ces spectacles de théâtre d'objets ou de marionnettes se mettent en œuvre dans une grande proximité avec les spectateurs de manière à préserver une certaine intimité avec les récits et l’oeuvre.
Note d'intention
Nous écrivons nos projets par ricochets.
Depuis plus d’un an nous questionnons le verbe habiter dans le projet Que notre joie demeure!. Par définition et aussi en pratique, habiter désigne un espace domestiqué, à la main de l’humain, organisé selon son usage. On nous a raconté des dizaines de façons de négocier cet espace, avec des non humains, avec des plantes, des animaux, de l’eau et même avec des humains.
Nous nous sommes entretenus avec Bruno à Lescun, un village au bout de la vallée d’Aspe. Il est venu s’y installer à la retraite après avoir passé toute sa vie à Bordeaux. La difficulté pour Bruno n’était pas de quitter ses habits de rat des villes pour enfiler ceux de rat des champs, de rejoindre la « diagonale du vide ». Son combat, c’était de préserver un espace maîtrisé pour son potager ; de lutter jour après jour contre les ronces et la forêt, contre « l’ensauvagement » de son jardin.
Le sauvage désignait donc ce qui n’est pas domestiqué, pas cultivé, ce qui est spontané, loin de la main de l’homme. Bref ce qui n’est pas habité par l’humain.
Puis dans un tout autre contexte, Emmanuelle, océanographe, spécialiste de l’Antarctique a répondu à la même question. Elle travaille à la station météorologique marine de Dinard. Elle aussi nous a parlé du monde sauvage et contrairement à Bruno de son désir d’ensauvagement de son jardin, de sa nécessité à composer avec le vivant, à partager ses fruits avec les oiseaux...
Bref depuis l’habitat, ces deux personnes nous ont donné envie d’interroger notre rapport intime avec le mot sauvage, avec le monde sauvage. Mais avec un monde sauvage voisin de notre quotidien. Nous voulons glaner des histoires de chasse aux champignons, de sangliers dans le jardin, de pies voleuses, d’araignées dans nos bottes, d’invasion de fourmis, de piqure de guêpes, de cerf dans la ville, de ragondin dans le jardin, de partie de pêche et de serpents endormis sous les pierres du chemin.
C’est notre rapport au monde vivant que nous pensons mettre sur la table, évoquer nos peurs, notre fascination, notre amour, notre curiosité ou notre colère, en interrogeant des personnes, spécialistes ou non. Un aller-retour entre le commun, le scientifique et le fantastique.
à l'Oeuvre
Nous démarrons ce projet avec le TRIO's, dans le quartier de Kerihouais à Hennebont. Nous avons participé à la fête de quartier le 14 septembre avec notre spectacle des châteaux en Espagne. Nous allons à la rencontre des vivants humains avec l'association Cordée cordage et nous imaginons au fil de l'eau des temps de rencontres comme une sortie aux champignons en forêt, un bivouac avec Tipi et hamac en pleins coeur de ville. Nous avons déjà glaner nos premières histoires : un Naturaliste qui nous raconte son premier émoi devant un huitrier-pie, un élu à l’environnement, une urbaniste qui se sent comme Idefix dans la forêt, un pêcheur qui ne mange pas les poissons qu’il pêche, une paysagiste désabusée, une retraitée qui embrasse les arbres... Ces premières semaines sont pour nous l’occasion de formuler nos premières questions.
Depuis trois ans nous questionnons le verbe habiter dans le projet Que notre joie demeure. Par définition et aussi en pratique, habiter désigne un espace domestiqué, à la main de l’humain, organisé selon son usage. On nous a raconté des dizaines de façons de négocier cet espace, parfois avec des noms humains, des animaux, domestiques ou non, des […]