Une journée avec l’association Lacanienne internationale au bout du plongeoir…
Samedi 11 septembre 2021
Rencontre avec Les frères Pablof « Ma place à table »
Un spectacle à table : de l’imaginaire au symbolique « Le gîte et le couvert, est-ce que ça fait famille ? »
Les frères Pablof, nous les avons rencontrés lors de l’élaboration de leur spectacle « Le grand saut » : c’était il y a longtemps déjà, l’époque d’avant les masques, d’avant les confinements, les gestes barrière… c’était avant le grand saut politico-sanitaire. On s’était retrouvé une vingtaine, à Rennes, au lycée Joliot Curie : le grand saut, ça se prépare ? Ça sépare ? ou ça répare ? Ça vient du dehors ou du dedans ? Disparition ou exhibition ?… On a plongé, et tenté d’ouvrir les yeux dans l’eau, tenté « de voir clairement les obscurités », comme le dit Freud, faute de jamais pouvoir voir clair.
C’était une rencontre, un commencement donc ; pas seulement un moment, une date et un lieu : l’ouverture d’un champ de travail. Alors il y a eu des suites, et la découverte de ce spectacle antérieur des frères Pablof : « Ma place à table ». Un titre magnifique, une petite forme mêlant théâtre, marionnettes, conte, expérimentation, reportage : un drôle d’objet. Un spectacle qui ne fait pas de nous des spectateurs, qui nous interpelle et met en forme des questions essentielles : qu’est-ce qu’il se joue à la table familiale ? est-ce que le gîte et le couvert, ça fait famille ? Ou c’est autre chose ? Qu’est-ce qu’une place ? Qui la confère ? Est-elle à prendre, à conquérir, ou bien à céder, voire à négocier ?
Bref : un spectacle qui nous propulsait dans des questions éminemment symboliques.
Ainsi font font font les frères Pablof : sans cesse ils remettent les choses sur le métier. « Ma place à table » était partie d’une commande dans le champ social pour donner la parole aux enfants des familles d’accueil. Mais il ne suffit pas de donner la parole pour qu’on la prenne. Il y faut une adresse, il y faut une écoute, il y faut du transfert. C’est une aventure, un tissage dont les frères Pablof font la matière même de leurs créations. Leurs spectacles ne sont ni des produits manufacturés ni des performances ; ce sont des moments de mise en oeuvre, un dire au travail. Ce sont des constructions toujours susceptibles de reprises, faites de trouvailles et aussi de renoncements.
On était bien ensemble. Alors on s’est dit : « mais encore ? » Oui, ouvrir, encore ; envie aussi de travailler l’après coup d’un spectacle. D’où cette journée au domaine de Tizé : retour au Laboratoire d’Idées et de Rencontres. Le spectacle le matin, un repas partagé et orchestré par Benoît Gasnier, jouant de nos places à table : qui a osé prendre la place du père ? Qui s’est trouvé frustré ? qui a échangé contre une autre ?… (Prends ma place, non non j’t’en prie, vas y toi !)
Et puis un après-midi d’échanges, d’explorations avec le public, les artistes, quelques psyanalystes dont Sandrine Calmettes, venue de Paris. On a avancé prudemment, dans le foisonnement des sujets, on se méfiait du savoir. Il y a avait le spectacle, la parole des enfants, la question des familles d’accueil, tout ça noué à des enjeux symboliques majeurs, autant qu’à des représentations diverses.
Pour chacun sans doute, il y avait beaucoup à dire, mais aussi peut-être des empêchements à dire : parler, n’est-ce pas prendre la place ? N’est-ce pas risquer de faire trou ? De quoi s’autorise-t-on ? Il y faut une adresse, il y faut une écoute, il y faut du transfert. Finalement, qu’est-ce qu’on aura entendu de ce qu’il s’est dit ?
« La situation du sujet […] est essentiellement caractérisée par sa place dans le monde symbolique, autrement dit dans le monde de la parole. » Jacques Lacan, Séminaire I, 1953-54, Les Ecrits Techniques de Freud.
« Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. » Jacques Lacan, « L’Etourdit », Autres Ecrits, Seuil, 1966
Hélène Genet